Le Livre de mon fils

II

Les chemins de la vie sont nombreux, O mon fils. Prends ceux qui mènent à l'Éternité. Peu m'importe la voie, mais le but. Je te parlerai de la vie, je te parlerai de la mort aussi et je te dirai qu'elles sont une seule chose. Pour l'instant je veux seulement te dire : vis dans la ferveur. Que ta vie soit la flèche lancée qui vibre. Elle atteint son but, frémissant encore. Je t'aimerais mieux mauvais que médiocre. La tiédeur est pareille aux sables de l'Authie qui lentement vous enlisent : tu n'en sortiras pas. Les brumes arrêtent la course plus que la tempête et ses tornades.

Ferveur... je te veux un front passionné et que tes yeux soient pleins d'une inquiétude. Je te voudrais possédé de cette fièvre qui le fit danser devant l'Arche, le roi David. Vis dangereusement. Préfère les chemins qui n'ont pas été foulés. Que singulière soit ta destinée. Je voudrais que cet appel soit pour toi un appel à l'héroïsme. Ne t'y trompes pas. Le christianisme que je t'ai donné n'est pas une religion de douceur. J'ai vu des processions de malades, des processions de jeunes filles desséchées. On en riait. Mais avait-on pesé l'héroïsme de ces vies. Le Christ est un pauvre consolateur, mais c'est un consolateur inexorable. Sa joie il ne la donne qu'en échange des plaisirs et des douceurs. Tu n'y parviendras qu'en cheminant au désert. Je tremble presque, dans mon cœur de père, de t'avoir mis entre ces mains. Tu ne sais pas combien son amour est brûlant, ni ce qu'il exige. Certains dieux ont appelé à l'héroïsme les forts, les puissants du monde, avec lui aucun ne s'y peut dérober, même rongé de lèpre ou de scrofule. Il ne te demande rien que de te surpasser tellement qu'il puisse de toi faire un dieu.

Être un dieu, mon fils, tu n'es pas appelé à moins. Être un dieu qui se donne et que ton amour dévore si follement qu'il en meure écartelé sur une croix. Ah ! tu as besoin de toute ta force, et d'être un jeune homme dans la plénitude de ta chair pour traîner (?) ces deux modèles. Ils ont à porter le monde. Et sur tes épaules c'est tout l'univers qui pèse.

Entends l'appel de l'héroïsme. C'est un grand cri de tempête, quand le vent marque la place sur les sapins, et que les gorges, comme des orgues sauvages, sonnent. C'est l'attrait des cimes qui planent dans le soir, et quand ivre de joie on croit les atteindre elles se dérobent, toujours plus hautes. Vis tendu vers les cimes. Que chacune de tes heures soit un dépassement. Ne t'arrête pas à la halte du col tu n'auras droit au repos que tu n'aies atteint le dernier sommet.

On dit que ce sommet est si haut qu'il touche au ciel. Les voyageurs qui l'atteignent y disparaissent dans les nuées. Ceux qui reviennent gardent au fond des yeux une lumière qui les distingue. Ils témoignent d'une calme exaltation. La paix est sur eux. Ils sont comme la rive longtemps battue des flots, et soudain il émerge d'une mer étale, inviolée. Ils sont comme les voiliers longtemps portés sur la tempête et qui se posent enfin en haut du mat.

Et les hommes sur leur passage, s'écartent. Ils ont peur de ce témoignage. Ils  ont peur de sentir à leur contact l'attrait des cimes, et de partir sur l'étroit chemin qui monte. O mon fils, si tu croises l'un d'entre eux suis-le. Ne te retourne pas, laisse tes livres, ta maison, dusses-tu laisser même l'amour, et pars. Si les pierres du chemin te blessent, ne t'arrête pas, et si la cime est ensevelie de nuages, poursuis ta route. On ne s'arrête pas sur cette route : on recule.

Monte toujours, et que ton ascension se fasse dans la ferveur. Quand se dérobe la cime, garde les yeux fixés sur le point des nuages où elle doit reparaître. Que jamais ne s'attarde ton regard. Que jamais tes yeux ne comptent les pierres du chemin, ni qu'ils supputent la longueur de la route. Une fois lancé, oublie tout et chante, joyeux, la grande aventure qui t'appelle. Chante joyeux la grande aventure de la grâce.

Mon fils, ne perds jamais de vue qu'aimer ta vie tu construits l'éternité.

Impossible de nier qu'il y ait un enfer. Cette éternité là aussi se construit sur la terre.

Mon fils, aucune de nos actions sont proches. Nous créons le Paradis.

Aperçu sur la vie sociale du Paradis. Résoudre la difficulté : ils seront comme les anges de Dieu qui voient chaque jour la face de mon Dieu.

L'artiste travaille à la Résurrection.

Le social idem.

Le politique même.

« Cette vie est le berceau de l'autre ».

« Rien dans le monde moral n'est perdu, comme dans le monde matériel rien n'est anéanti

« Toutes nos pensées et tous nos sentiments ne sont ici bas que le commencement de sentiments et de pensées qui seront achevées ailleurs.